Le diabète et l’insuline vont souvent de pair dans une conversation. Le premier affecte des millions de personnes dans le monde, tandis que la seconde est une hormone qui aide à contrôler la maladie en question. Au grand étonnement de plusieurs, un troisième joueur pourrait bientôt se joindre à eux : le glucagon.
Le glucagon a longtemps été perçu comme une hormone qui entravait l’action de l’insuline. Jennifer Estall, chercheuse à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) et à l’Université de Montréal, remet en question ce dogme.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), son équipe a dévoilé un mécanisme adaptatif en jeu dans le contrôle de l’action de l’insuline : le glucagon y joue un rôle crucial et pourrait même avoir un effet protecteur.
Deux hormones aux antipodes
Le diabète se manifeste lorsque notre organisme n’est plus en mesure de stocker le glucose, ce qui peut entraîner un taux de sucre trop élevé dans le sang. Avec le temps, cette maladie peut mener à de graves complications. Le diabète a d’ailleurs été considéré comme une maladie fatale jusqu’en 1922, année où des chercheurs canadiens ont découvert l’insuline et ont commencé à l’utiliser comme traitement.
« Quand le taux de sucre dans notre sang [la glycémie] devient trop élevé, l’insuline envoie un signal au corps. Celui-ci entrepose alors l’excédent de sucre dans nos tissus et ordonne au foie de cesser d’en produire, explique Jennifer Estall, qui dirige l’unité de recherche sur les mécanismes moléculaires du diabète de l’IRCM. Le glucagon, en revanche, commande le foie afin qu’il recoure à ces réserves quand c’est nécessaire et qu’il fabrique plus de sucre. Le glucagon peut ainsi agir lors d’une période de jeûne ou quand le corps dépense plus d’énergie que d’habitude, comme lorsque nous faisons de l’exercice. »
L’union fait la force
Compte tenu de leurs effets opposés, l’insuline et le glucagon ont longtemps été perçus comme des hormones qui se concurrencent afin d’envoyer leur signal au foie. De nombreux scientifiques ont d’ailleurs soupçonné qu’un glucagon hyperactif ou sécrété en de trop grandes quantités pouvait être une cause ou un facteur de risque du diabète.
Par le passé, certains chercheurs ont même tenté de mettre au point un traitement inhibant l’action du glucagon. Or, son efficacité s’est révélée incertaine. Jennifer Estall, qui est également professeure-chercheuse agrégée à l’UdeM et professeure associée à l’Université McGill, est en mesure de dire pourquoi cette approche s’est avérée peu concluante : son équipe a démontré comment, inversement, le glucagon pourrait avoir un effet protecteur.
« Lorsque vous jeûnez pendant un certain temps, par exemple quand vous dormez la nuit, votre taux de glucagon est plus élevé, raconte la Dre Estall. Votre corps peut dès lors utiliser ses réserves d’énergie et empêcher votre glycémie de trop chuter. Il vous évite par la même occasion de tomber en hypoglycémie, ce qui pourrait provoquer des vertiges, de la confusion et, dans les cas graves, vous plonger dans le coma. Nous avons mis au jour une fonction supplémentaire du glucagon : il prépare votre foie à réagir. Lorsque vous vous levez et mangez votre petit déjeuner, votre foie est plus sensible au signal de l’insuline lui indiquant d’arrêter la production de son propre sucre, car celui-ci n’est plus nécessaire. »
Grâce à des observations effectuées sur des cellules de foie de souris, les chercheurs de l’IRCM ont découvert que le glucagon a besoin d’une protéine appelée PGC1A pour contrôler cette réaction. Aurèle Besse-Patin, Ph. D., premier auteur de l’étude, a été surpris par cette observation : « L’activation de PGC1A n’a pas entraîné d’hyperglycémie, comme on l’aurait cru auparavant. Au contraire, les souris ont plutôt mieux répondu à l’insuline », a-t-il affirmé.
« En fait, avoir des taux élevés de glucagon et de PGC1A pourrait s’avérer bénéfique, a ajouté la Dre Estall. Sans ceux-ci, le foie réagit moins rapidement à l’insuline après les repas. Par conséquent, il faut plus de temps avant que la glycémie revienne à la normale. »
La Dre Estall s’attend à ce que cette percée encourage les chercheurs à s’intéresser de plus près au glucagon et à PGC1A. Ceux-ci ont souvent été écartés en raison de leurs présumés effets indésirables sur le foie.
« Nous espérons que nos travaux aideront à désigner de nouvelles cibles thérapeutiques pour le diabète ainsi que pour d’autres maladies métaboliques », a-t-elle conclu.
À propos de l’étude
Le projet de recherche a été mené au sein de l’unité de recherche sur les mécanismes moléculaires du diabète de l’IRCM par Aurèle Besse-Patin, Stewart Jeromson, Philipa Levesque-Damphousse et Jennifer Estall, en collaboration avec Blandine Secco et Mathieu Laplante, du Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.
La recherche a bénéficié du soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Corporation Merck, Sharpe and Dohme, du Centre de recherche du diabète de Montréal, du Fonds de recherche du Québec – Santé et d’une bourse postdoctorale Jean-Coutu de la Fondation de l’IRCM.
Cet article a été publié le 6 mars 2019 par Anne-Marie Beauregard, Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM)